Philippe Starck écoule ses premières créations dans les rayons des supermarchés, pendant que Dieter Rams ne transige jamais avec sa quête d’absolu fonctionnel. Ray et Charles Eames, eux, dessinent des meubles pour la middle class américaine, tout en affichant une ambition industrielle assumée. Ce que l’on appelle « design » n’a rien d’un bloc monolithique : ici s’affrontent des visions du monde, des méthodes, des ambitions qui rarement s’accordent.
Certains noms deviennent des bannières, emblèmes d’écoles ou de mouvements. D’autres restent des francs-tireurs, mais changent la donne par la singularité de leur démarche. L’histoire du design ne cesse de trier, contester, rebattre les cartes de la légitimité et de l’influence. Les débats sur l’héritage et l’impact s’invitent à chaque génération, renversant les hiérarchies établies.
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Le design, une discipline en perpétuelle évolution
Le design se réinvente sans relâche, balançant entre ruptures collectives et filiations revendiquées. Les figures majeures du XXe siècle, de Milan à Paris, bâtissent leur époque autour de mouvements, d’écoles et de groupes à la recherche d’un langage commun, ou d’une radicale nouveauté. Ettore Sottsass fonde l’École de Memphis, qui dynamite les codes du design postmoderne. Gio Ponti, créateur de Domus, installe Milan comme capitale nerveuse du secteur, tandis que Joe Colombo ou Michele De Lucchi multiplient les aventures collectives, de Gruppo Cavart à Architetture e altri Piaceri.
Quelques exemples illustrent cette dynamique de réseau et d’innovation :
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- La collaboration entre la société Braun et l’École de design d’Ulm donne naissance à une esthétique industrielle cohérente : rigueur des lignes, sobriété assumée, modernité revendiquée jusque dans l’objet du quotidien.
- La diffusion des idées s’accélère grâce aux revues, aux salons, aux collectifs d’avant-garde. Paris, à travers l’Union des Artistes Modernes, enclenche un mouvement qui irrigue la France et dialogue sans cesse avec la tradition des arts décoratifs.
Des alliances se nouent, des tensions émergent. Charlotte Perriand, pilier de l’UAM, incarne cette hybridation entre démarche individuelle et engagement collectif. Le mobilier, loin de se figer, se transforme dans le frottement des idées et la confrontation des égaux. Les frontières s’effacent, les écoles s’interpellent : chaque signature s’inscrit dans cette histoire en mouvement.
Pourquoi certaines figures marquent-elles l’histoire du design ?
Le designer qui laisse une trace durable ne se contente pas de créer de beaux objets. Il innove, inspire, fédère autour de lui. Prenons Le Corbusier : architecte, mais aussi penseur du mobilier, il travaille avec Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret. Ensemble, ils imaginent une approche globale : chaque pièce, chaque espace, répond à une vision d’ensemble où la fonctionnalité et l’esthétique ne font qu’un. Perriand, de son côté, collabore avec Jean Prouvé, brouillant les pistes entre arts décoratifs et industrie, artisanat et production en série.
D’autres, comme Dieter Rams, redéfinissent notre rapport à l’objet par leur exigence formelle. Son passage chez Braun, nourri du compagnonnage avec l’école de design d’Ulm, deviendra un modèle pour des générations de créateurs. Jony Ive, à la tête du design chez Apple, revendique sans détour cet héritage. L’influence circule, se transforme, se prolonge. Les icônes émergent de réseaux, de contextes, de dialogues fertiles.
Philippe Starck, lui, impose son style avec le presse-agrumes « Juicy Salif » ou la chaise « Louis Ghost ». Provocation ou autodérision : il bouscule les règles, fait entrer le design dans la vie de tous les jours. La renommée d’un créateur repose sur sa capacité à transmettre, à s’associer, à incarner aussi bien la rupture que l’élan collectif. L’histoire du design s’écrit ainsi, entre alliances et objets qui font date.
Portraits croisés : les créateurs qui ont révolutionné leur époque
Le Corbusier, Charlotte Perriand : bâtir, assembler, transmettre
Le Corbusier, à la fois architecte et designer, imagine la Villa Savoye et l’Unité d’Habitation de Marseille. Son manifeste, « Vers une architecture », oriente le XXe siècle. Charlotte Perriand, membre active de l’Union des Artistes Modernes, collabore étroitement avec lui et Jean Prouvé. Ensemble, ils passent de l’objet unique à la série, du travail solitaire à la création collective. Leurs pièces, éditées par Cassina et exposées au musée national d’art moderne, incarnent cette bascule.
Philippe Starck, Jean Nouvel : la scène internationale
Philippe Starck, figure du design mobilier et industriel, multiplie les projets : Kartell, Alessi, Vitra, Cassina, Driade. Son univers ne connaît pas de frontières : du Centre Pompidou aux hôtels, en passant par les bars et les casinos, il impose sa signature. Jean Nouvel, grand maître de l’architecture, marque les esprits avec la Fondation Cartier, la Tour Agbar, le MAXXI. Leurs réalisations redessinent l’espace urbain, brouillent les lignes entre architecture et design, entre art et industrie.
Il suffit d’observer quelques trajectoires pour saisir la diversité du paysage :
- Joe Colombo, inventeur de la chaise Universale et du fauteuil Elda, croise le chemin de Cassina.
- Gae Aulenti, architecte et designer, transforme la Gare d’Orsay et imagine la lampe Pipistrello.
- Achille et Pier Giacomo Castiglioni, Gio Ponti, Vico Magistretti : tous imposent une vision, du salon du meuble de Milan aux collections de Vitra ou d’Ikea.
Dans ce foisonnement, chaque créateur dialogue avec son temps, ses matériaux, les besoins de la société.
Au-delà des icônes : explorer les influences et héritages contemporains
Le design contemporain s’inscrit dans la filiation des grands maîtres mais ne se limite jamais à copier leurs formes. Dieter Rams, apôtre du minimalisme chez Braun, inspire Jony Ive chez Apple : leur quête de simplicité, leur attention maniaque à l’usage, marquent l’époque. Les influences se glissent dans les détails, forment un soubassement commun. Les créateurs d’aujourd’hui s’emparent de ce legs, le transforment pour répondre aux défis du numérique, de l’écologie, de la modularité.
Les éditeurs tels que Cassina ou Vitra, à Paris, Milan ou ailleurs, réinterprètent les classiques. Rééditions, expositions à la Fondation Louis Vuitton, au Musée national d’art moderne, au Centre Pompidou : la mémoire du design s’active, entre patrimoine et expérimentation. Ces grandes maisons, en dialogue constant avec les designers, imposent une exigence sur le marché et dans l’imaginaire collectif.
Parfois, les filiations prennent la forme de groupes ou de studios : Studio Alchimia, porté par Paola Navone, ou l’engagement de Michele De Lucchi chez Olivetti. Le design français, incarné par Philippe Starck ou Jean Nouvel, trace des ponts entre architecture, mobilier et industrie. Les collaborations, de Kartell à Alessi, de Driade à Disform, dessinent un territoire vivant, en constante redéfinition. Expositions, publications, rééditions : chaque acteur, institution ou entreprise, contribue à faire évoluer ce patrimoine en perpétuelle métamorphose.
Au final, le design ne sacre jamais un seul « plus grand » : il avance par transmissions, influences, et paris risqués. Les créateurs majeurs laissent des traces, certes, mais l’histoire ne s’arrête jamais aux figures. Elle se joue dans la circulation des idées, et parfois, dans l’objet posé un jour sur une table, qui finit par transformer nos habitudes pour de bon.