Certains événements bouleversent durablement l’équilibre psychique, mais leur résonance ne s’arrête pas toujours à la personne directement concernée. Des familles entières constatent des souffrances qui semblent traverser le temps sans explication apparente. Des distinctions s’imposent entre l’impact immédiat d’un choc et les conséquences persistantes au fil des générations. La compréhension de ces phénomènes permet d’identifier leurs mécanismes et d’adapter l’accompagnement.
Trauma, traumatisme, traumatique : des notions proches mais à ne pas confondre
Dans l’usage courant, on croise souvent les mots trauma, traumatisme et traumatique comme s’ils étaient interchangeables. En réalité, chacun recouvre une dimension propre, à ne pas négliger. Le trauma désigne l’événement lui-même : ce choc inattendu qui vient chambouler l’existence et faire voler en éclats la sensation de sécurité. Un choc routier, une agression, une catastrophe naturelle, autant d’exemples capables de bousculer de façon radicale le psychisme.
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Le traumatisme fait référence à la trace profonde laissée par ce coup de massue : des répercussions sur la mémoire, le corps, les pensées. Symptômes d’anxiété, réveils nocturnes, flashbacks intrusifs, irritabilité… parfois, ces réactions s’imposent sur la durée et rendent la vie difficilement supportable. Lorsque ce cortège de troubles prend le dessus, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut être posé par un professionnel de santé mentale.
Enfin, le qualificatif traumatique renvoie à tout contexte ou expérience susceptible de déséquilibrer psychiquement une personne : atmosphère tendue à la maison, relation toxique, secrets familiaux qui pèsent sans toujours se dire. Les travaux de recherche démontrent que la façon dont un individu réagit dépend de son histoire personnelle, de l’ampleur du choc, mais aussi du soutien, ou de son absence, dans son entourage proche.
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Pour baliser ces différences, on peut résumer ainsi :
- Trauma : l’événement brutal en tant que tel.
- Traumatisme : l’empreinte durable laissée, psychique et corporelle.
- Traumatique : ce qui est capable de provoquer un bouleversement interne.
Personne n’est condamné, d’office, à souffrir d’un stress post-traumatique après un tel événement. Cela dépend de nombreux paramètres : la présence de personnes de confiance, la reconnaissance du vécu, la possibilité de mettre des mots sur l’incompréhensible.
Pourquoi parle-t-on de traumatisme intergénérationnel ?
Le terme traumatisme intergénérationnel s’est peu à peu imposé dans le vocabulaire de la santé psychique. Il recouvre une réalité simple, mais déroutante : une douleur, née d’un choc, ne s’arrête pas à celle ou celui qui l’a subie, mais continue à circuler par les liens du sang ou de l’éducation. Plusieurs études menées sur les enfants de survivants de guerres, de violences collectives ou de drames familiaux majeurs ont mis en lumière ce phénomène. Dans ces familles, l’histoire d’un ancêtre façonne, à bas bruit, le quotidien de ses descendants.
Il s’agit d’une transmission qui ne doit rien aux mythes. Les avancées récentes en neurosciences et en épigénétique suggèrent l’existence de transformations biologiques : certains mécanismes, comme la modification épigénétique, seraient transmis des parents à l’enfant. Des pionniers de la psychogénéalogie évoquaient déjà la puissance des secrets, des non-dits, des deuils non digérés comme fil conducteur du mal-être familial d’une génération à l’autre.
Ce phénomène se retrouve avec force dans certaines populations qui ont subi des actes collectifs répétés de violence ou d’exclusion. Là, sur plusieurs générations successives, émergent angoisse, troubles de l’attachement, comportement à risque, parfois sans même que la première blessure soit connue de ceux qui en souffrent aujourd’hui.
On distingue deux grandes modalités dans le passage de témoin d’une génération à l’autre :
- Par la psyché : à travers récits, silences pesants, attitudes ou émotions filtrées et transmises sans explication.
- Par le corps : via des processus biologiques, telle l’expression modifiée de certains gènes par les événements traumatiques vécus par les ascendants.
Le traumatisme transgénérationnel force chacun à s’interroger : comment repérer ce qui se joue dans l’ombre, comment offrir un accompagnement qui brise le cercle ? L’enjeu dépasse le cadre intime, il interpelle aussi la société.
Comment un traumatisme se transmet-il de génération en génération ?
La circulation du traumatisme d’un parent à son enfant ne s’explique ni par l’imitation simple, ni par la fatalité. Chercheurs en psychologie, sciences humaines et médecine documentent des mécanismes croisées, mêlant dimensions biologiques et psychologiques. Chez des enfants dont les parents ont subi des violences extrêmes ou des guerres, on observe parfois les mêmes symptômes de détresse, bien qu’ils n’aient jamais traversé l’événement eux-mêmes.
Des études menées dans des hôpitaux spécialisés montrent l’impact des changements épigénétiques sur la réponse au stress, notamment à travers certains gènes impliqués dans l’adaptation au danger. Ce n’est pas la séquence génétique qui est touchée, mais la façon dont elle s’active lorsque l’environnement le commande. Cette transformation peut rendre la descendance plus vulnérable au trouble de stress post-traumatique.
Mais la transmission passe aussi par l’ambiance quotidienne, les silences, les attitudes. Être élevé par quelqu’un dont l’angoisse est omniprésente, dont le repli ou l’hypervigilance façonnent les journées, cela laisse des traces. Le modèle parental, même sans explication, sert de boussole et d’alerte pour l’enfant, et bâtit des automatismes qui perdurent.
En résumé, on retrouve deux dynamiques principales :
- Transmission biologique : modifications de l’expression génétique, influencées par des chocs antérieurs.
- Transmission psychique : climat émotionnel, comportements appris, secrets ou drames tus.
Loin de s’arrêter au cercle familial, ces conséquences se diffusent dans la société, questionnant la manière d’agir pour prévenir et soutenir dans la durée.
Des exemples concrets pour mieux comprendre l’impact sur les familles
Regarder la réalité en face, c’est observer des histoires bien vivantes. Une famille marquée par un conflit violent : la mère a traversé l’horreur, son enfant, né bien après les faits, développe peurs chroniques, recul à table, difficultés pour trouver sa place à l’école… Les explications rationnelles font défaut, mais la dynamique est bel et bien là. L’anxiété envahit, l’échec s’installe, la solitude grandit, sans cause retrouvée dans le présent.
À New York, chez des descendants de survivants de l’Holocauste, les soignants décrivent une vigilance exacerbée, une forme de retrait ou une méfiance qui semblent surgir de nulle part. Au Canada, ce sont les familles autochtones ayant subi des déracinements répétés qui voient apparaître chez leurs enfants des bouffées de honte, des difficultés à s’attacher, et même des prises de risques précoces. Toujours une histoire ancienne, généralement cachée ou à peine effleurée, qui dicte ses lois silencieuses.
Au regard de cette complexité, les approches thérapeutiques se diversifient pour répondre à la réalité du terrain. Voici quelques modalités d’accompagnement, fréquemment mises en place :
- La thérapie familiale vise à ouvrir l’espace de parole, à nommer ce qui a longtemps été tu, et à restaurer la fluidité des liens.
- La psychogénéalogie propose de revisiter l’histoire des ascendants afin d’en desserrer les nœuds transmis silencieusement.
- Les thérapies individuelles, telles que l’EMDR ou la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), s’emploient à traiter les souvenirs intrusifs, à reconstruire la confiance, à permettre un nouvel élan de résilience.
Rien n’est écrit d’avance : chaque famille, parfois à tâtons, cherche la voie pour transformer l’héritage pesant. Dans le vacarme ou dans le silence, il est toujours possible d’écrire une suite qui n’appartient plus au passé.